
La Pensée Française
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Канал түзүлгөн датаJul 13, 2019
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l’intuition moderne que l’éthique était l’élaboration par chaque homme de son propre tribunal. On ne fait pas le procès d’une existence en la comparant à une autre, on n’impose pas à une forme de vie de devoir ressembler à une autre, qui lui servirait de modèle imposé. Pourtant, on juge tout de même de la valeur éthique d’une vie humaine. On essaie sans cesse d’évaluer sa propre vie. Mais une seule loi préside au procès moderne de soi par soi : que ce qui a été fait l’ait été d’un cœur fervent. Bien évidemment, il demeure des valeurs morales (la dignité, la fidélité, le respect…), au regard desquelles chacun – suivant ses convictions – considère les actes et l’existence tout entière d’un homme comme bons ou mauvais. Mais à cette morale extérieure supplée une sorte d’éthique intérieure, qui plonge au cœur des êtres et qui concerne la valeur d’une vie en elle-même et pour elle-même. Est-elle belle, bonne, sage ou folle ? Est-elle heureuse ? Est-elle la vie d’un criminel, d’un saint, d’une sombre ordure, d’un être mesquin, d’un homme ordinaire… ? Peu importe. Le seul principe admis semble le suivant : quelles qu’aient été les motivations et les actions de cet homme, il faut se demander enfin s’il a vécu « à fond », suivant cette expression prosaïque, mais qui énonce avec exactitude ce qui est désormais attendu de nous. En toute chose, le seul vrai péché est d’avoir manqué d’intensité.
« Pour ceux d’entre nous qui ont accepté d’hériter des deux ou trois derniers siècles d’histoire de nos valeurs, voilà l’idéal le plus profond : un idéal sans contenu, un idéal purement formel. Être intensément ce que l’on est.
Ainsi l’« intensité esthétique » a-t-elle lentement éclipsé le canon classique de la beauté. En grande partie fantasmé par ceux qui le regrettent aujourd’hui, ce canon supposait la correspondance d’une représentation à un idéal préexistant. Cet idéal se trouvait régi par des lois de symétrie, d’harmonie et d’agrément. Toutes ces lois ont semblé à l’œil moderne une violence illégitime infligée à l’autonomie de l’image, de la musique ou du texte. Il n’était plus question de juger de la valeur d’une œuvre d’art suivant qu’elle répondait correctement ou non à l’idée de ce qu’elle devait être. Non, on espérait plutôt qu’une œuvre produise une expérience inédite et foudroyante chez le spectateur. Pensons aux happenings, à l’activisme viennois, au Living Theatre.
« Dans la plupart des disciplines, le but est devenu de dépasser la représentation par le choc de la présence des choses. Le spectateur cherche moins à goûter une représentation, en ce cas, qu’à être parcouru par le frisson de sentir l’excès incontrôlable de présence de ce qui se manifeste devant lui. Du même coup, il parvient à se sentir lui-même un peu plus et un peu mieux présent : il frissonne de retrouver le sens perdu de l’ici et du maintenant. Et l’idée s’est peu à peu imposée qu’une œuvre devrait être estimée à l’aune de son propre principe. L’esthétique moderne a consisté à rapporter le plus possible une œuvre ou une situation à leurs règles internes plutôt qu’à des conventions imposées de l’extérieur.
Qu’est-ce que l’intensité de ma sensation ? Ce dont je ne peux rendre compte aux autres mais qui m’assure pour cette raison même que ma sensation, au moins, est à moi. Ce caractère irréductible de l’intensité lui donne toute son importance, et diffuse une aura de mystère et d’évidence à la fois : par intensité, on entend la mesure de ce qui ne se laisse pas mesurer, la quantité de ce qui ne se laisse pas quantifier, la valeur de ce qui ne se laisse pas évaluer. L’intensité résiste au calcul, tout en permettant l’attribution subjective d’une grandeur.
Alors que la modernité signifiait la rationalisation des connaissances, des productions et des échanges, la mathématisation du réel, l’établissement d’un plan d’équivalence entre toutes les choses échangeables sur un marché, l’intensité en est venue à désigner, comme par compensation, la valeur éthique suprême de ce qui résiste à cette rationalisation : l’intensité n’est pas strictement irrationnelle, mais elle ne se laisse pas réduire à ces figures de la rationalité que sont l’objectivité, l’identification, la division dans l’espace, le nombre, la quantité. Peu à peu, l’intensité est devenue le fétiche de la subjectivité, de la différence, du continu, de l’indénombrable et de la pure qualité.
«Il y a bien longtemps que la société libérale occidentale l’a compris et qu’elle s’adresse à ce type-là d’individus. Voici ce qu’elle nous a promis de devenir : des hommes intenses. Ou plus exactement des hommes dont le sens existentiel est l’intensification de toutes les fonctions vitales. La société moderne ne promet plus aux individus une autre vie, la gloire de l’au-delà, mais seulement ce que nous sommes déjà – plus et mieux. Nous sommes des corps vivants, nous éprouvons du plaisir et de la peine, nous aimons, sans cesse des émotions s’emparent de nous, mais aussi nous cherchons à satisfaire nos besoins, nous voulons nous connaître et connaître ce qui nous entoure, nous espérons être libres et vivre en paix. Eh bien, ce qui nous est offert de meilleur, c’est une augmentation de nos corps, une intensification de nos plaisirs, de nos amours, de nos émotions, c’est toujours plus de réponses à nos besoins, c’est une connaissance meilleure de nous-mêmes et du monde, c’est le progrès, c’est la croissance, c’est l’accélération, c’est plus de liberté et une paix meilleure. C’est la formule même de toutes les promesses modernes, auxquelles nous ne savons plus tout à fait s’il faut croire : une intensification de la production, de la consommation, de la communication, de nos perceptions, aussi bien que de notre émancipation. Nous incarnons depuis quelques siècles un certain type d’humanité : des hommes formés à la recherche d’intensification plutôt. C’est la formule même de toutes les promesses modernes, auxquelles nous ne savons plus tout à fait s’il faut croire : une intensification de la production, de la consommation, de la communication, de nos perceptions, aussi bien que de notre émancipation. Nous incarnons depuis quelques siècles un certain type d’humanité : des hommes formés à la recherche d’intensification plutôt que de transcendance, comme l’étaient les hommes d’autres époques et d’autres cultures.
Parfois on a écrit sur la même notion, et I'on s'est aperçu ensuite qu'on ne la saisissait pas du tout de la même manière: ainsi «corps-sans-organes». Ou bien un autre exemple. Félix travaillait sur les trous noirs; cette notion d'astronomie le fascine. Le trou noir, c'est ce qui vous capte et ne vous laisse pas sortir. Comment sortir d'un trou noir? Comment émettre du fond d'un trou noir? se demande Félix. Moi je travaillais plutôt sur un mur blanc: qu'est-ce que c'est un mur blanc, un écran, comment limer le mur, et faire passer une ligne de fuite? On n'a pas réuni les deux notions, on s'est aperçu que chacune tendait d'elle-même vers I'autre, mais justement pour produire quelque chose qui n'était ni dans I'une ni dans I'autre. Car des trous noirs sur un mur blanc, c'est précisémentun visage,large visage aux joues blanches et percé d'yeux noirs, ça ne ressemble pas encore à un visage, c'est plutôt I'agencement ou la machine abstraite qui va produire du visage. Du coup, le problème rebondit, politique: quelles sont les sociétés,les civilisations qui ont besoin de faire fonctionner cette machine, c'est-à-dire de prodnire, de < surcoder > tout Ie coryrs et la tête avec un visage, et dans quel but? Ça ne va pas dc soi, le visage de I'aimé, le visage du chef, la visagéification du corps physique et social... Voilà une multiplicité, avec au moins trois dimensions, astronomique, esthétique,politique. En aucun cas nous ne faisons d'usage métaphorique, nous ne disons pas: c'est «comme» des trous noirs en astronomie, c'est commeune toile blanche en peinture. Nous nous servons de termes déterritorialisés, c'est-à-dire arrachés à leur domaine, pour re-territorialiser une autre notion, le «visage», la «visagéité» comme fonction sociale. Et pire encore, les gens ne cessent pas d'être enfoncés dans des trous noirs, épinglés sur un mur blanc. C'est cela, ëtre identifié, liché, reconnu: un ordinateur central fonctionnant comme trou noir et balayant un mur blanc sans contours. Nous parlons littéralement. Justement, les astronomes envisagent la possibilité que, dans un amas globulaire, toutes sortes de trous noirs se ramassent au centre en un trou unique de masse assez grande... Mur blanc - flsu noir, c'est pour moi un exemple typique de la manière dont un travail s'agence entre nous, ni réunion ni juxtaposition, mais ligne brisée qui file entre deux, prolifération, tentacules.
Nous n'étions que deux, mais ce qui comptait pour nous, c'était moins de travailler ensemble, que ce fait étrangede travailler entre les deux. On cessait d'être «auteur». Et cet entre-les deux renvoyait à d'autres gens, différents d'un côté et de I'autre. Le désert croissait, mais en se peuplant davantage. Ça n'avait rien à voir avec une école, avec des procès de recognition, mais beaucoup à voir avec des rencontres. Et toutes ces histoires de devenirs, de noces contre nature, d'évolution a-parallèle, de bilinguisme et de vol de pensées,c'est ce que j'ai eu avec Félix. J'ai volé Félix, et j'espère qu'il en a fait de même pour moi. Tu sais comment on travaille, je le redis parce que ça me paraît important, on ne travaille pas ensemble, on travaille entre les deux. Dans ces conditions, dès qu'il y a ce type de multiplicité, c'est de la politique, de la micropolitique. Comme dit Félix, avant I'Etre il y a la politique. On ne travaille pas, on négocie. On n'a jamais été sur le même rythme, toujours en décalage: ce que Félix me disait, je le comprenais et je pouvais m'en servir six mois plus tard; ce que je lui disais, il le comprenait tout de suite, trop vite à mon goût, il était déjà ailleurs.
Il ne faut pas commettre l’erreur de lire comme les analyses d’un état psychologique les descriptions précises, et sûres et minutieuses, qu’il nous en propose. Descriptions, mais celles d’un combat. Le combat lui est en partie imposé. Le « vide » est un « vide actif ». Le « je ne puis pas penser, je n’arrive pas à penser » est un appel à une pensée plus profonde, pression constante, oubli qui, ne souffrant pas d’être oublié, exige pourtant un plus parfait oubli. Penser est désormais ce pas toujours à porter en arrière. Le combat où il est toujours vaincu est toujours repris plus bas. L’impuissance n’est jamais assez impuissante, l’impossible n’est pas l’impossible. Mais en même temps, le combat est aussi celui qu’Artaud veut poursuivre, car dans cette lutte il ne renonce pas à ce qu’il appelle la « vie » (ce jaillissement, cette vivacité fulgurante) dont il ne peut tolérer la perte, qu’il veut unir à sa pensée, que, par une obstination grandiose et affreuse, il se refuse absolument à distinguer de la pensée, alors que celle-ci n’est rien d’autre que « l’érosion » de cette vie, «émancipation» de cette vie, l’intimité de rupture et de déperdition où il n’y a ni vie ni pensée, mais le supplice d’un manque fondamental à travers lequel s’affirme déjà l’exigence d’une négation plus décisive. Et tout recommence. Car jamais Artaud n’acceptera le scandale d’une pensée séparée de la vie, même quand il est livré à l’expérience la plus directe et la plus sauvage qui ait jamais été faite de l’essence de la pensée entendue comme séparation, de cette impossibilité qu’elle affirme contre elle-même comme la limite de sa puissance infinie.