Jules MICHELET 💥
Histoire de la Révolution française, 1847
"Ils ne faisaient qu'un avec la terre
Le clergé eut grande part à la Vendée, mais très inégale, grande en Anjou et dans le Bocage, moindre au Marais, variable dans les localités si diverses de la Bretagne. Ni en Vendée, ni en Bretagne, il n'aurait rien fait, si la République n'était venue au foyer même du paysan pour l'en arracher, l'ôter de son champ, de ses bœufs, l'affubler de l'uniforme, l'envoyer à la frontière se battre pour ce qu'il détestait. Jamais, sans cela, les cloches, les sermons ni les miracles n'auraient armé le Vendéen. La Réquisition était l'épreuve et la pierre de touche, le vrai moment pour la Vendée. Sous l'Ancien Régime, on ne venait jamais à bout d'y faire tirer la milice. Le Vendéen était enraciné dans le sol, il ne faisait qu'un avec la terre et les arbres de la terre. Plutôt que de quitter ses bœufs, sa haie, son enclos, il eût fait la guerre au Roi. [...] Le clergé parut donner au pays une sorte d'unité fanatique. Mais cette unité apparente tint aussi en grande partie à une passion commune qui animait ces populations diverses, à leur profond esprit local; - passion contraire à l'unité. Si la Vendée est une révolution, c'est celle de l'insociabilité, celle de l'esprit d'isolement. Les Vendées haïssent le centre, mais se haïssent elles-mêmes. Quelque fanatiques qu'elles soient, ce n'est pas le fanatisme qui a décidé le combat; c'est une pensée d'intérêt, c'est le refus du sacrifice. Le trône et l'autel, d'accord; le bon Dieu et nos bons prêtres, oui, mais pour se dispenser de marcher à la frontière. Écoutez l'aveu naïf de la proclamation Vendéenne (fin mars): "Point de milice; laissez-nous dans nos campagnes... Vous dites que l'ennemi vient, qu'il menace nos foyers... Eh ! bien, c'est l'ennemi c'est de nos foyers, s'il y vient jamais, que nous saurons le combattre..." Autrement dit: Vienne l'ennemi... Que les armées autrichiennes, avec leurs Pandours, leurs Croates, ravagent la France à leur aise. Qu'importe la France à la Vendée!... La Lorraine et la Champagne seront à feu et à sang; mais ce n'est pas la Vendée. Paris périra peut-être, l'œil du monde sera crevé... Mais qu'importe aux Vendéens?... Meure la France, et meure le monde!... Nous aviserons au salut, lorsque le cheval cosaque apparaîtra dans nos haies. Hélas! Malheureux sauvage! Vous-mêmes vous vous condamnez. Ces mots de farouche égoïsme, c'est sur vous qu'ils vont retomber."
Jules MICHELET (1798-1874)
Républicain convaincu, Jules Michelet a façonné l'historiographie de la Révolution et des guerres de Vendée. Il en réduit les causes profondes à l'ignorance des paysans, aux intrigues du clergé et à la conspiration d'aristocrate royalistes. Son influence, proportionnelle à son talent littéraire, se fera sentir jusqu'au XXe siècle.