« Oh ! qu'ils sont coupables ces écrivains trompeurs ou pusillanimes, qui se permettent d'effrayer le peuple de ce vain épouvantail qu'on appelle contre-révolution ! Qui, tout en convenant que la révolution fut un fléau épouvantable, soutiennent cependant qu'il est impossible de revenir en arrière. Ne dirait-on pas que les maux de la révolution sont terminés, et que les Français sont arrivés au port ?
Le règne de Robespierre a tellement écrasé ce peuple, a tellement frappé son imagination, qu'il tient pour supportable et presque pour heureux tout état de choses où l'on n'égorge pas sans interruption.
Durant la ferveur du terrorisme, les étrangers remarquaient que toutes les lettres de France qui racontaient les scènes affreuses de cette cruelle époque, finissaient par ces mots : "A présent on est tranquille, (c'est à dire) les bourreaux se reposent, ils reprennent des forces; en attendant tout va bien".
Ce sentiment a survécu au régime infernal qui l'a produit. Le Français pétrifié par la terreur, et découragé par les erreurs de la politique étrangère, s'est renfermé dans un égoïsme qui ne lui permet plus de voir que lui-même, et le lieu et le moment où il existe...
On assassine en cent endroits de la France; qu'importe, car ce n'est pas lui qu'on a pillé ou massacré; si c'est dans sa rue, à côté de chez lui qu'on ait commis quelqu'un de ces attentats... Qu'importe encore ?
Le moment est passé, maintenant tout est tranquille; il doublera ses verrous, et n'y pensera plus; en un mot, tout Français est suffisamment heureux le jour où on ne le tue pas. »
📚 Joseph DE MAISTRE, 'Considérations sur la France' (1796). #JosephDeMaistre #Révolution1789